Sentarô, un homme dans la force de l’âge, tient une petite boutique de dorayakis. Ce sont de petites pâtisseries traditionnelles japonaises qui se composent de deux pancakes fourrés de pâte de haricots rouges confits appelée « An ».
Toute la journée, il est debout derrière sa plaque chauffante à préparer ces petits gâteaux et à servir les clients. Il travaille sans relâche mais aussi sans conviction dans le seul but de parvenir à rembourser sa dette. Pour oublier que sa destinée lui a faire prendre un mauvais chemin et que son rêve de devenir écrivain en restera un justement… il boit de l’alcool.
Un jour une vieille dame vient postuler à l’offre d’emploi affichée sur la devanture. Elle est prête à travailler pour la moitié du salaire proposé car elle a toujours rêvé de faire ce travail. Sentarô refuse en prétextant qu’à son âge, 76 ans ce n’est pas possible. Elle revient un autre jour pour lui dire qu’elle accepterai un salaire encore plus bas (200 yens de l’heure au lieu de 600) mais Sentarô refuse encore.
Cette fois, elle achète un doryaki dont elle trouve la pâte à pancake pas mauvaise mais la pâte de an insipide et sans âme. Normal, c’est de la pâte de haricots industrielle. Elle repart en lui laissant une petite boîte hermétique contenant le an qu’elle a préparé comme elle le fait depuis 50 ans.
Après avoir jeté la boîte à la poubelle, il a des scrupules et décide qu’en le goûtant il aurait fait son devoir et aurait la conscience tranquille. Or, le an de Tokue n’a rien à voir avec le an industriel dont il se sert. Celui-ci est juste délicieux ! Le soir au bar, il réfléchit et se dit que l’embaucher pour presque rien, ainsi que son excellent an augmenterait son chiffre d’affaire et qu’ainsi il pourrait rembourser plus vite ses dettes et se libérer de ce travail. Reste le problème des mains déformées de la vieille dame… Il décide qu’elle ne s’occuperait que de la préparation de la pâte de an dans l’arrière boutique à l’abri des regards.
Tokue lui enseigne l’art de préparer la pâte de haricots confits. Rapidement, grâce la pâte de an exquise de Tokue, la petite échoppe devient un endroit incontournable et Sentarô voit sa clientèle doubler.
Un jour, Sentarô trop fatigué ne vient pas travailler et Tokue le remplace à la boutique. Le lendemain, elle ne résiste pas à l’envie d’être au contact des clients surtout les jeunes collégiennes. Elle se lie d’amitié avec Wakana une jeune collégienne un peu perdue. Au fil des jours, la clientèle ne cesse de diminuer et Tokue doit partir car ses mains déformées et les traces de paralysie sur son visage en sont la cause. Les clients la fuient comme si elle avait une maladie contagieuse ! Effectivement, les séquelles de Tokue sont dû à la lèpre qu’elle a contracté à l’âge de 14 ans et la cause de son internement forcé dans une léproserie pendant 50 ans.
Alors qu’il utilise un vaccin depuis 1947, le Japon a persisté à considérer les lépreux guéris comme dangereux qu’il fallait interner à vie. Un temps considérée comme une maladie héréditaire, les avortements et la stérilisation sont pratiqués de force. Ce n’est qu’en 1996, qu’une loi leur rend leur liberté. Mais comme le personnage de Tokue, les lépreux ont en moyenne 75 ans et beaucoup ont de lourds séquelles (cécité, handicap…) et n’ont jamais connu la vie en société, n’ont plus de famille alors ils restent vivre là où ils ont toujours vécus.
Les personnages tous abîmés par la vie sont très attachants, surtout celui de Tokue qui est pleine de vie, espiègle et qui a gardé son âme d’enfant, pure et optimiste.
C’est un roman émouvant et captivant à l’écriture moderne qui au travers de cette partie de l’histoire du Japon peu connue aborde des thèmes tels que l’exclusion, l’enferment, la peur de la maladie, de la différence et du handicap… ayant tous comme point commun le reflex du rejet, montre la difficulté à faire évoluer les mentalités.
Un vrai coup de cœur pour cette belle histoire de complicité et d’amitié intergénérationnelle !
Ce roman a été adapté à l’écran par la cinéaste Naomi Kawase et primé au festival de Cannes en 2015. Le film est disponible en DVD en version originale (japonnais) sous titrée en français. L’histoire a été légèrement adaptée, le personnage de Wakana la collégienne est plus présent. J’ai bien aimé le film, toutefois je préfère largement le livre qui offre plus de profondeur aux personnages, à leur vie et aux malades de la peste.
Les Délices de Tokyo
Roman de Durian Sukewaga
Paru aux Éditions A vue d’œil en 2016 – 352 pages